Ouch ! C'est fort... c'est poignant ! Une
écriture ciselée, saccadée, une ponctuation largement employée mais à bon
escient, tout cela réuni pour scander le récit d'une transplantation
cardiaque. C'est chirurgical (net et précis) et sentimental (aussi bien dans la
douceur que dans la dureté). Dès que l'on commence ce livre, on n'a plus envie
de le lâcher et on est embarqué dans cette course contre la montre que requière
le don et la greffe d'organes. L'histoire s'accélère, ralentit parfois, puis
repart comme un tourbillon. La ronde des personnages qui gravitent autour du
coeur de Simon forme comme un kaléïdoscope léger et coloré grâce aux détails
distillés par l'auteur et met un peu de fantaisie dans un récit qui ne sombre
donc pas dans le pathos et l'angoisse. Les émotions sont pudiques ou violentes,
bref, on passe par tous les états en lisant le dernier roman de Maylis de
Kerangal.
J'avais lu sur un blog il y a quelques semaines, à propos de ce livre
: "Je me demande ce que l'on peut encore lire après ça" (Lisa). Je
ressens la même chose et je pense qu'il va me falloir quelques jours pour me
remettre de cette lecture qui m'a d'autant plus touchée que je suis donneuse
d'organes... J'en ai encore une boule dans la gorge ! Je ne peux pas en dire
plus : lisez-le ! L'écriture de ce livre est si belle que j'aurais pu tout
retranscrire ici à titre d'exemple. Je me contenterai donc de ce court passage
:
"Elle vide d'un trait le verre de gin, et alors il est là, debout devant
elle, hâve et ravagé, de minuscules particules de bois saupoudrent sa
chevelure, incrustent les plis de ses vêtements, les mailles de son pull. Elle
se lève, un mouvement brusque, sa chaise bascule en arrière -fracas sur le
sol-, mais elle ne se retourne pas, se tient debout face à lui, une main posée
à plat sur la table assurant un appui à son corps chancelant, l'autre pendue le
long du corps, ils se regardent une fraction de seconde, puis un pas et ils
s'étreignent, une étreinte d'une force dingue, comme s'ils s'écrasaient l'un
dans l'autre, têtes compressées à se fendre le crâne, épaules concassées sous
la masse des thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s'amalgament dans
les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d'étreinte que l'on se donne
pour faire rocher contre le cyclone, pour faire pierre avant de sauter dans le
vide, un truc de fin du monde en tout cas quand, dans le même temps, dans le
même temps exactement, c'est aussi un geste qui les reconnecte l'un à l'autre
-leurs lèvres se touchent-, souligne et abolit leur distance, et quand ils se désincarcèrent,
quand ils se relâchent enfin, ahuris, exténués, ils sont comme des
naufragés."
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