dimanche 16 novembre 2014

Réparer les vivants - Maylis de Kerangal

Lundi 10 mars 2014




Ouch ! C'est fort... c'est poignant ! Une écriture ciselée, saccadée, une ponctuation largement employée mais à bon escient, tout cela réuni pour scander le récit d'une transplantation cardiaque. C'est chirurgical (net et précis) et sentimental (aussi bien dans la douceur que dans la dureté). Dès que l'on commence ce livre, on n'a plus envie de le lâcher et on est embarqué dans cette course contre la montre que requière le don et la greffe d'organes. L'histoire s'accélère, ralentit parfois, puis repart comme un tourbillon. La ronde des personnages qui gravitent autour du coeur de Simon forme comme un kaléïdoscope léger et coloré grâce aux détails distillés par l'auteur et met un peu de fantaisie dans un récit qui ne sombre donc pas dans le pathos et l'angoisse. Les émotions sont pudiques ou violentes, bref, on passe par tous les états en lisant le dernier roman de Maylis de Kerangal. 

J'avais lu sur un blog il y a quelques semaines, à propos de ce livre : "Je me demande ce que l'on peut encore lire après ça" (Lisa). Je ressens la même chose et je pense qu'il va me falloir quelques jours pour me remettre de cette lecture qui m'a d'autant plus touchée que je suis donneuse d'organes... J'en ai encore une boule dans la gorge ! Je ne peux pas en dire plus : lisez-le ! L'écriture de ce livre est si belle que j'aurais pu tout retranscrire ici à titre d'exemple. Je me contenterai donc de ce court passage : 

"Elle vide d'un trait le verre de gin, et alors il est là, debout devant elle, hâve et ravagé, de minuscules particules de bois saupoudrent sa chevelure, incrustent les plis de ses vêtements, les mailles de son pull. Elle se lève, un mouvement brusque, sa chaise bascule en arrière -fracas sur le sol-, mais elle ne se retourne pas, se tient debout face à lui, une main posée à plat sur la table assurant un appui à son corps chancelant, l'autre pendue le long du corps, ils se regardent une fraction de seconde, puis un pas et ils s'étreignent, une étreinte d'une force dingue, comme s'ils s'écrasaient l'un dans l'autre, têtes compressées à se fendre le crâne, épaules concassées sous la masse des thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s'amalgament dans les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d'étreinte que l'on se donne pour faire rocher contre le cyclone, pour faire pierre avant de sauter dans le vide, un truc de fin du monde en tout cas quand, dans le même temps, dans le même temps exactement, c'est aussi un geste qui les reconnecte l'un à l'autre -leurs lèvres se touchent-, souligne et abolit leur distance, et quand ils se désincarcèrent, quand ils se relâchent enfin, ahuris, exténués, ils sont comme des naufragés." 

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