Si j'ai décidé de lire la
biographie de Madeleine Castaing, c'est que son la présentant comme sa meilleure amie. Je n'avais
jusqu'à présent eu qu'une approche de ses relations avec Simone de Beauvoir,
Maurice Sachs, Jean Genet... Madeleine Castaing était cependant fréquemment
citée comme amie mais aussi comme "l'amie antiquaire", sans plus de
détail. J'ai eu envie de découvrir la vie de cette femme, et ce fut une
excellente idée ! J'ai beaucoup aimé cette biographie, racontée comme un roman,
avec des rebondissements, des intrigues. J'ai découvert un personnage à la
personnalité fantasque et attachante (chiante aussi à ses heures ! -mais ce
n'est pas péjoratif bien au contraire), drôle, pleine de malice et à
l'incroyable ouverture d'esprit pour l'époque. J'ai appris en outre qu'elle
était une décoratrice de renommée mondiale et qu'elle avait été mécène de
nombreux artistes dont Soutine et qu'elle fut l'amie d'Erik Satie, Blaise
Cendrars, Jean Cocteau (entre autres !).
J'ai beaucoup aimé tous les détails
sur la décoration, son originalité et comment elle est devenue célèbre par son
sens du goût et sa manière d'aménager les pièces, les objets et de marier les
matières, les tissus... Mais je lisais également ce livre pour en découvrir
éventuellement un peu plus quant à son amitié avec Violette Leduc. Il s'agit de
la biographie de Madeleine, Violette n'est donc pas particulièrement mise à
l'honneur, mais quelques pages y sont consacrées dont ces trois extraits que
j'ai beaucoup aimés :
"Au début de l'été 1940, les Castaing avaient reçu
un appel de leur ami Sachs : "Je vais vous présenter une femme
extraordinaire !". Peu après, Maurice était arrivé en compagnie d'une
créature aux traits caravagesques dont le pessimisme ruisselant et l'humour
joyeusement macabre avaient conquis Madeleine. Elle se nommait Violette Leduc
et n'était pas encore l'auteur de La Bâtarde. Sachs l'avait repérée alors
qu'elle travaillait comme standardiste dans les bureaux de la maison de
production Synops. "Elle balayait avec intelligence", raconta-t-il à
Madeleine, ce qui avait donné envie à l'écrivain de lui adresser la parole. Et
quelle n'avait pas été sa surprise en découvrant que cette gargouille était
intelligente, cultivée et spirituelle. Ils s'étaient revus et ces deux êtres
fantasques et déséquilibrés avaient tissé une relation défiant toute logique.
Violette qui était lesbienne, s'était éprise de Maurice, homosexuel notoire. Il
en fallait davantage pour déconcerter Madeleine, qui n'en était plus à une
étrangeté près. Elle ne pouvait qu'apprécier la conversation de cette femme
profondément originale et complexe, et s'attacha durablement à Violette Leduc qui
devint par la suite sa meilleure amie."
"Un jour de 1946, Madeleine
eut la surprise de voir Violette Leduc entrer dans sa boutique. Les deux femmes
qui ne s'étaient pas revues depuis 1940, partageaient une même inquiétude quant
au sort de leur ami Sachs. Violette pensait que les Castaing en savaient
peut-être plus, mais tel n'était pas le cas. [...] Emue par le désarroi de
Violette et stimulée par l'originalité de sa conversation, Madeleine décida
alors de la prendre sous son aile, et les ambiguïtés inhérentes à un rapport de
protection entre deux femmes aussi complexes furent nombreuses. Violette occupa
très vite une place de choix dans l'existence des Castaing. Madeleine n'hésita
pas à se lier à cet être dépressif et paranoïaque dont les agissements étaient
le plus souvent exténuants pour ses proches, car elle avait saisi toute la
singularité du personnage."
"Encouragée par Sachs, Violette avait
écrit un premier livre, L'Asphyxie, publié en cette même année 1946, et
Madeleine, conquise par le récit de cette enfance saccagée, décida de l'aider
en louant les mérites du texte auprès de ses amis influents. Contrairement à
bien des personnalités parisiennes qui manifestent beaucoup de zèle pour
soutenir ceux qui en ont le moins besoin parce qu'il est flatteur de leur venir
en aide, elle ne confondit jamais valeur personnelle et mondanités. Violette
était laide, pauvre et inconnue, mais Mme Castaing, qui ne fut jamais piquée
par la mouche du snobisme, avait compris que le vilain petit canard volerait un
jour à hauteur d'aigle. C'est ainsi qu'elle amena Violette chez Marcel
Jouhandeau après avoir offert à ce dernier un exemplaire de L'Asphyxie. Il lui
écrivit peu après : "Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de lire
ce livre. Quelle virilité pour une femme et comme le style est bien celui du
titre, celui que le titre annonce. Peu à peu l'auteur vous ligote dans ses
bandelettes subtiles, et vous voici haletant. Je le signale autour de moi comme
un continent nouveau -qui ne sera peut-être qu'une île, mais qu'importe- ! Le
son de la voix de Violette Leduc n'est celui d'aucun autre et voilà qui est
bien plus important qu'un roman destiné à cent mille voyageurs ennuyés."
Madeleine avait eu raison de faire confiance au talent de Violette : les
décennies suivantes prouveront à tous que ce "continent nouveau"
n'était pas simplement une île.
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