dimanche 16 novembre 2014

Madeleine Castaing, mécène à Montparnasse, décoratrice à St-Germain-des-Prés

Vendredi 28 février 2014



Si j'ai décidé de lire la biographie de Madeleine Castaing, c'est que son la présentant comme sa meilleure amie. Je n'avais jusqu'à présent eu qu'une approche de ses relations avec Simone de Beauvoir, Maurice Sachs, Jean Genet... Madeleine Castaing était cependant fréquemment citée comme amie mais aussi comme "l'amie antiquaire", sans plus de détail. J'ai eu envie de découvrir la vie de cette femme, et ce fut une excellente idée ! J'ai beaucoup aimé cette biographie, racontée comme un roman, avec des rebondissements, des intrigues. J'ai découvert un personnage à la personnalité fantasque et attachante (chiante aussi à ses heures ! -mais ce n'est pas péjoratif bien au contraire), drôle, pleine de malice et à l'incroyable ouverture d'esprit pour l'époque. J'ai appris en outre qu'elle était une décoratrice de renommée mondiale et qu'elle avait été mécène de nombreux artistes dont Soutine et qu'elle fut l'amie d'Erik Satie, Blaise Cendrars, Jean Cocteau (entre autres !). 

J'ai beaucoup aimé tous les détails sur la décoration, son originalité et comment elle est devenue célèbre par son sens du goût et sa manière d'aménager les pièces, les objets et de marier les matières, les tissus... Mais je lisais également ce livre pour en découvrir éventuellement un peu plus quant à son amitié avec Violette Leduc. Il s'agit de la biographie de Madeleine, Violette n'est donc pas particulièrement mise à l'honneur, mais quelques pages y sont consacrées dont ces trois extraits que j'ai beaucoup aimés : 

"Au début de l'été 1940, les Castaing avaient reçu un appel de leur ami Sachs : "Je vais vous présenter une femme extraordinaire !". Peu après, Maurice était arrivé en compagnie d'une créature aux traits caravagesques dont le pessimisme ruisselant et l'humour joyeusement macabre avaient conquis Madeleine. Elle se nommait Violette Leduc et n'était pas encore l'auteur de La Bâtarde. Sachs l'avait repérée alors qu'elle travaillait comme standardiste dans les bureaux de la maison de production Synops. "Elle balayait avec intelligence", raconta-t-il à Madeleine, ce qui avait donné envie à l'écrivain de lui adresser la parole. Et quelle n'avait pas été sa surprise en découvrant que cette gargouille était intelligente, cultivée et spirituelle. Ils s'étaient revus et ces deux êtres fantasques et déséquilibrés avaient tissé une relation défiant toute logique. Violette qui était lesbienne, s'était éprise de Maurice, homosexuel notoire. Il en fallait davantage pour déconcerter Madeleine, qui n'en était plus à une étrangeté près. Elle ne pouvait qu'apprécier la conversation de cette femme profondément originale et complexe, et s'attacha durablement à Violette Leduc qui devint par la suite sa meilleure amie." 

"Un jour de 1946, Madeleine eut la surprise de voir Violette Leduc entrer dans sa boutique. Les deux femmes qui ne s'étaient pas revues depuis 1940, partageaient une même inquiétude quant au sort de leur ami Sachs. Violette pensait que les Castaing en savaient peut-être plus, mais tel n'était pas le cas. [...] Emue par le désarroi de Violette et stimulée par l'originalité de sa conversation, Madeleine décida alors de la prendre sous son aile, et les ambiguïtés inhérentes à un rapport de protection entre deux femmes aussi complexes furent nombreuses. Violette occupa très vite une place de choix dans l'existence des Castaing. Madeleine n'hésita pas à se lier à cet être dépressif et paranoïaque dont les agissements étaient le plus souvent exténuants pour ses proches, car elle avait saisi toute la singularité du personnage." 

"Encouragée par Sachs, Violette avait écrit un premier livre, L'Asphyxie, publié en cette même année 1946, et Madeleine, conquise par le récit de cette enfance saccagée, décida de l'aider en louant les mérites du texte auprès de ses amis influents. Contrairement à bien des personnalités parisiennes qui manifestent beaucoup de zèle pour soutenir ceux qui en ont le moins besoin parce qu'il est flatteur de leur venir en aide, elle ne confondit jamais valeur personnelle et mondanités. Violette était laide, pauvre et inconnue, mais Mme Castaing, qui ne fut jamais piquée par la mouche du snobisme, avait compris que le vilain petit canard volerait un jour à hauteur d'aigle. C'est ainsi qu'elle amena Violette chez Marcel Jouhandeau après avoir offert à ce dernier un exemplaire de L'Asphyxie. Il lui écrivit peu après : "Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de lire ce livre. Quelle virilité pour une femme et comme le style est bien celui du titre, celui que le titre annonce. Peu à peu l'auteur vous ligote dans ses bandelettes subtiles, et vous voici haletant. Je le signale autour de moi comme un continent nouveau -qui ne sera peut-être qu'une île, mais qu'importe- ! Le son de la voix de Violette Leduc n'est celui d'aucun autre et voilà qui est bien plus important qu'un roman destiné à cent mille voyageurs ennuyés." Madeleine avait eu raison de faire confiance au talent de Violette : les décennies suivantes prouveront à tous que ce "continent nouveau" n'était pas simplement une île.


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