jeudi 8 octobre 2015

Evariste - François-Henri Désérable


Sous une plume virevoltante, François-Henri Désérable romance la vie, courte certes, mais intense, du mathématicien Evariste Galois, duquel dira-t-on qu'il fut aux mathématiques ce que Rimbaud fut à la poésie.

Courte vie donc, puisqu'à 15 ans, il découvrit les mathématiques qu'il révolutionna à 18 ans avant de tomber, à 20 ans, non au champ d'honneur mais dans un pré, malheureux perdant d'un duel !

La courte histoire d'un génie des mathématiques pourrait paraître peu enthousiasmante et plutôt rébarbative. Erreur ! Malgré sa jeunesse (27 ans) et le fait qu'Evariste soit son premier roman, François-Henri Désérable réussit ce tour de force de captiver d'entrée de jeu son lecteur (ah, l'incroyable chapitre II sur la conception d'Evariste !) en utilisant une narration vive et enlevée, ne laissant aucun temps mort dans un récit palpitant, intégrant de manière cocasse, des passages historiques et faisant des envolées de phrases, usant et abusant du point-virgule généralement boudé en matière de ponctuation... (ouf, j'ai moi-même l'impression d'être virevoltante dans ma façon de décrire tout cela !).
On s'imaginerait presque Fabrice Luchini faisant une lecture théâtrale de ce livre !

Sa manière d'interpeler le lecteur en l'appelant "Mademoiselle", ou de l'inviter à mieux comprendre son personnage en se mettant dans "la peau" de son chapeau et donc d'être aux premières loges de l'histoire est également tout à fait originale !

En conclusion, Evariste est un incroyable roman biographique qui sort complètement des sentiers battus et qui a donc le mérite d'attraper le lecteur et de le plonger dans un récit sans ennui et sans temps mort, osant faire la part belle aux interpellations et intégrant au détour de l'une ou l'autre phrase très littéraire, le vocabulaire actuel !... Jubilatoire !

Mais au fait... quelle est cette grande révolution des mathématiques qu'il fit ? Heeuuu, une histoire de théorèmes je crois... mais en fait, là n'est pas la question !

Extraits :

"Vous connaissez l'Ancien Régime, sa partition millénaire, vous savez comment elle se joue : les nobles, qui ont les terres, ne font rien et font de l'argent ; le clergé, qui a le ciel, ne fait rien et fait de l'argent ; le tiers état, parce qu'on lui a promis dans l'autre vie le ciel du second, s'échine dans celle-ci sur les terres des premiers, fait tout, n'a rien, ne fait pas d'argent."

"En 1808, il a trente-trois ans, il est temps qu'il se trouve une femme. Elle en a vingt, il lui faut un mari. Il traverse la rue, son coeur bat : la possibilité d'Evariste surgit".

"[...] c'est là, sur la montagne Sainte-Geneviève, la seule qu'il fût à même de gravir, que Richard vit un jeune élève prénommé Evariste devenir Galois, de même qu'Izambard en classe de rhétorique à Charleville en vit un autre se prénommant Arthur devenir Rimbaud. La Montagne se refusait donc à lui, Richard, quand elle s'offrait à d'autres qui s'appelaient autrement, et parce qu'il savait qu'il n'en atteindrait jamais l'antécime (pas même l'antécime !), il établit son bivouac dans la vallée, où à défaut de placer ses pas dans les pas d'Evariste il lui prêta son modeste concours : s'il ne fut ni un guide ni même un porteur, un vulgaire coolie, il fut celui qui mit le piolet entre les mains de son élève, ce piolet auquel il s'était agrippé, vainement agrippé, et qui est tout à la fois la volonté farouche de se hisser jusqu'au sommet, l'assurance mâle d'y parvenir et le désir d'y rester."

Mon préféré (et d'ailleurs je ne dois pas être la seule car la page était cornée -emprunt médiathèque-) :

"Les sept pages sont là, sur le bureau, immaculées. Il s'assoit, inspire un grand coup. C'est le moment, mademoiselle, où le chef-d'oeuvre n'est qu'une hypothèse, où le miracle est sur le point d'avoir lieu ; ce moment où le tableau est encore sur la palette du peintre, la statue dans la pierre du sculpteur, le théorème dans l'esprit du mathématicien ; ce moment où Rembrandt pose un premier coup de pinceau sur cette toile encore blanche qu'on appellera Ronde de nuit, où le pic de Michel-Ange vient frapper pour la première fois ce bloc de marbre qui deviendra La Pieta ; où quittant les limbes de l'esprit d'Evariste, le fruit d'une intense réflexion de plusieurs mois vient s'incarner sur la feuille, noir sur blanc s'incarner pour donner aux mathématiques la clé de voûte d'une théorie qui va les révolutionner, rien de moins".

Et le clou :

"Or Pescheux était de nature belliqueuse : il le provoqua en duel. Evariste ne voulait pas se battre. Il avait d'autres projets que s'éteindre dans un misérable cancan. Il épuisa tous moyens d'accommodement, en vain : l'autre, poussé par l'oncle boutefeu, étant bien décidé à en découdre, il fallut céder à ses provocations, car l'honneur était en jeu, et l'honneur, chez un patriote, valait plus que la vie. Sur le pré, monsieur. Séance tenante et dans le sang. Voilà, peu ou prou, ce qu'il s'est passé. Qu'on se le dise, ce n'est pas un complot, mais une affaire de coeur qui fut la cause du duel, une querelle de bibus comme il y en avait tant, comme il y en a toujours (sauf qu'aujourd'hui ce n'est plus à l'aube et sur le pré que l'on règle ses différends : on poste des tweets assassins, on s'insulte sur Facebook, on divulgue des sextapes, bref, c'est online que désormais tout se joue).


Evariste, François-Henri Désérable
Gallimard - 165 pages

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