mardi 27 octobre 2015

Camille, mon envolée - Sophie Daull



Camille avait 16 ans, la fleur de l'adolescence, l'âge de tous les possibles, de tous les projets, de toutes les envies. L'âge de l'insouciance mais celui également où l'on commence à se responsabiliser et à s'intéresser aux choses des adultes...
Camille avait 16 ans et elle est morte l'avant-veille de Noël après un combat acharné contre un mal invisible et inconnu qui l'a emportée dans la souffrance. Un combat inégal, un mal qu'aucun médecin n'a pu/voulu voir, une simple fièvre, un simple état grippal disaient-ils en prescrivant une ordonnance de Doliprane...
Ce qui devait être l'aube de sa vie est devenu son crépuscule...

Désemparés face à l'indifférence médicale, ses parents vont veiller sur elle, l'accompagner, la soulager du mieux qu'ils peuvent dans l'espoir d'une guérison et essayant tant bien que mal de croire qu'il ne s'agit effectivement que d'une grosse fièvre.
Mais voilà, après 4 jours d'une lutte courageuse, Camille a rendu les armes, terrassée par ce mal étrange, et c'est sous les yeux horrifiés de sa maman, et sous les mains du personnel médical qui s'est enfin déplacé que son petit coeur de jeune fille en fleur a rendu l'âme.

Ce sont ces 4 jours d'incompréhension et de descente aux enfers, puis les jours suivants, jusqu'aux obsèques de "la ptite puce" que Sophie Daull, sa maman va raconter dans ces pages, sous une plume émouvante, pudique, sensible et sans pathos, mais également drôle, laissant dans le récit quelques petites trouées de sourires...  Pour ne pas oublier... Pour graver dans les mémoires le déroulé de ces jours insensés. 186 pages poignantes et terrifiantes mais belles et douces.
Un récit qui se lit d'une traite et fait couler quelques larmes, mais des larmes d'émotion.

Comment se relever, comment poursuivre la vie après une telle épreuve, celle de la perte d'un enfant, de son unique enfant ? Emportés par le tourbillon de la vie qui continue autour d'eux et parce qu'il faut penser à la suite (démarches administratives, autopsie, coups de téléphone, organisation des obsèques...), Sophie et son mari vont se soutenir, pleurer, crier, boire, se souvenir, accepter la colère, rire aussi, pour accompagner Camille dans sa dernière demeure.

J'ai relevé ces quelques passages que j'ai trouvés très beaux (mais j'aurais tout aussi bien pu recopier tout le livre, tant il est beau du début à la fin) :

"Je promets de forcer mes mots pour qu'ils échappent au sirop de deuil un peu gluant, poème pompeux, élégie larmoyante ; je vais inaugurer ton outre-vie avec une plume trempée dans ton regard quand il s'ouvrait grand : franc, droit, lumineux."

"J'essayais, de ne pas entendre la cruelle vérité de tes aïe aïe aïe. Jamais, je te promets, je n'ai soupçonné le moindre chiqué. Tout en moi chantait l'autre Camille, la chanteuse : "Je veux prendre ta douleur"... Je crois même qu'un jour, assise tout contre toi, les fesses sur ton oreiller, je te l'ai chantonnée."

"Les gens ont des phrases toutes faites tirées de leurs manuels de consolation...
Je ne veux pas être consolée.
Je vis la coupure, la vie tranchée. C'est tout."

"Pourquoi t'es partie mon chaton ? A quelle horreur future t'es-tu soustraite ?
Quand je vois ce qui attend ce monde de merde, entre trahison politique, catastrophe écologique et pauvreté de masse, je me dis que oui, on peut se dire que tu as été bien inspirée de quitter le navire..."

"[...] Nous n'avons pas de nom. Nous ne sommes ni veufs ni orphelins. Il n'existe pas de mot pour désigner celui ou celle qui a perdu son enfant. Je viens de faire un tour sur Internet : pas d'occurence dans le dictionnaire, ailleurs on propose des suggestions toutes aussi farfelues les unes que les autres... Un papa répond sur un forum : "Si, j'ai un nom : je suis un mort vivant."

"C'est comme si, après avoir avorté il y a longtemps d'un grand frère ou d'une grande soeur que tu n'as jamais eus, j'avortais maintenant de ton avenir, et que l'opération m'avait laissée sans vie sous les aiguilles de la faiseuse d'anges. Mon ange. Mon auréolée, tes ailes sciées, l'élan brisé."

"Ce sont des cuves clandestines où marinent encore d'impensables sorcelleries de chagrin et de sidération, d'épuisement, de vie trop ténue pour être souvenue, minuscules filaments tressés de larmes et de nausées."


Et puis une petite touche de sourire sous la détresse :

"C'est ce matin-là  [...] qu'il nous a prescrit cet antibiotique qui a fait faire pipi orange à papa. On lui a même demandé si "on pouvait réveillonner ?" ; on avait peur qu'il nous interdise de picoler..."


Camille, mon envolée - Sophie Daull
Editions Philippe Rey - 186 pages

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