"Il existe un dieu pour veiller sur les légendes en perdition. Pour sauver les étoiles un peu oubliées. Un ange gardien capable de quitter la table du banquet où les dieux festoient. Il existe, sinon comment expliquer."
On connaissait plus ou moins l'histoire de Karen Blixen. Qui n'a pas vu le chef d'oeuvre de Sidney Pollack, Out of Africa ou lu La ferme africaine dont est inspiré le film ? Cette magnifique histoire d'une danoise ayant épousé le frère jumeau de son ex-amant et partie vivre au Kenya en pleine Première Guerre Mondiale pour y planter du café ; cette belle romance avec Denys Finch Hatton, aristocrate britannique devenu organisateur de safaris ; cette belle peinture de la vie africaine à l'aube de grands bouleversements historiques... Je pense que vous, comme moi, ne connaissions probablement que ce pan de vie de celle qui souhaita que l'on continue à l'appeler Baronne alors que ce titre lui avait été transmis par Bror, son ex-mari.
Mais peut-être avez-vous également entendu parler du Festin de Babeth ou encore des Contes Gothiques ?
Bien qu'ayant connu un véritable succès littéraire (notamment outre-Atlantique) durant cette période, on connaît moins l'après-épopée africaine. C'est sur cette deuxième partie de la vie de la Baronne que revient principalement Dominique de Saint Pern dans cette biographie atypique.
Pourquoi atypique ? Parce Dominique de Saint Pern évoque la vie de cette incroyable personnalité à travers la voix et les souvenirs de celle qui fut en quelque sorte sa dame de compagnie à son retour au Danemark (après Tsavo) : Clara Svendsen. C'est donc sous la plume de l'auteure que Clara égrène la vie quotidienne à Rungstedlund et surtout la personnalité fascinante de cette femme à multiples facettes... Tantôt Isak Dinesen, tantôt Tania, tantôt Tanne, tantôt Baronne, tantôt simplement Karen, on ne peut rester indifférent face à ce caractère et l'on apprend que Karen ressentait un énorme besoin d'être aimée et de se sentir exclusive. Elle a suscité la fascination des deux personnes qu'elle a prises sous son aile : Clara, jeune professeure et Thorkild, jeune agrégé de philosophie devenu poète. L'emprise qu'elle a eue sur eux n'a eu d'égale que l'admiration qu'ils lui vouaient, jusqu'à vouloir nouer un pacte de sang avec le jeune homme à qui elle fera subir humiliations et jalousies. Capricieuse, intransigeante et pourtant si humaine et bonne car ne souhaitant à ceux qu'elle aime que de s'élever intellectuellement, elle passera la deuxième partie de sa vie dans les souffrances des stigmates laissés par cette honteuse maladie que lui transmis Bror au Kenya, fruit de ses multiples infidélités. Rongée par la syphilis, tordue de douleur, subissant maintes et maintes opérations, et lentement empoisonnée durant toutes ces décennies par le mercure qui était la base de son traitement depuis 1915, elle s'éteindra dans son sommeil à l'âge de 77 ans et, alors qu'on eu pensé qu'elle souhaitât être enterrée sur un certain plateau africain face à la plaine sauvage, à l'endroit même où un couple de lions venait chaque soir se reposer sur la tombe de Finch Hatton, une simple pierre tombale sous un hêtre de sa propriété et à côté de la tombe de Pasop, son fidèle chien, sera sa dernière demeure.
Extraits :
"Karen s'interrogeait sur le souvenir que l'Afrique gardait d'elle, inquiète d'être oubliée de ceux qu'elle avait tant aimés.
"Et l'Afrique, sait-elle un chant sur moi ? L'air vibre-t-il jamais d'une couleur que j'ai portée, y a-t-il un jeu d'enfant où mon nom ressurgit, la pleine lune jette-t-elle sur le gravier de l'allée une ombre qui ressemble à la mienne ? Les aigles du Ngong me cherchent-ils parfois du regard ?"
"Lorsque je suis revenue pour la troisième fois à Rungstedlund, l'accueil avait changé. On me traitait en femme de chambre. A ma demande, il est vrai.
J'étais sortie de notre dernière rencontre soucieuse. Servir de couverture dans une mystification littéraire m'amusait. Mais je pouvais faire plus. J'en étais convaincue. Cette femme à l'écart du monde me hantait. Quelle preuve lui donner de mon admiration, qui ferait naître son amitié ? De retour à l'université de Risskov, je compris qu'il était temps de dire adieu à mes étudiants latinistes. De franchir un nouvel échelon dans ma carrière. Un poète élisabéthain a écrit : "je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme", tel était mon état d'esprit lorsque j'écrivis la lettre qui déciderait de mon avenir. Avec le recul, je peux dire : de ma vie tout entière."
J'avais lu La ferme africaine et Lettres d'Afrique à 16 ans, c'est-à-dire il y a déjà 30 ans ! Lire Baronne Blixen m'a donné envie de me replonger dans ces deux oeuvres que j'appréhenderai très certainement différemment et dont j'apprécierai beaucoup mieux et sans aucun doute la plume littéraire !
Baronne Blixen - Dominique de Saint Pern
Stock - 431 pages
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