mercredi 27 janvier 2021

Les naufragés de l'île Tromelin - Irène Frain

 Île Tromelin - Îles Eparses, océan Indien (Est de Madagascar, Nord des îles de la Réunion et Maurice)

 


 1761. La flûte L'Utile, armée par la Compagnie des Indes, navigue dans l'océan Indien. Le commandant a choisi de suivre une route inconnue afin de ne croiser aucun autre navire. Sa cargaison ne se compose en effet pas que d'épices. Du Bois d'ébène remplit secrètement les cales de son navire : 160 esclaves mauriciens embarqués clandestinement et qui feront de lui un homme riche. Mais à vouloir prendre des voies détournées, et pour une bête histoire de carte maritime, L'Utile éperonne un récif et fait naufrage. En pleine nuit et aissailli par de redoutables déferlantes, le navire se disloque. Les survivants, blessés, épuisés, assoiffés, se retrouvent sur celle que l'on appelle l'île des Sables : blancs et noirs vont devoir cohabiter sur une bande de sable exempte d'eau et à la maigre végétation, en attendant d'hypothétiques secours. Comment faire pour survivre dans cet enfer dont il semble impossible d'échapper ?

J'avais lu la BD de Sylvain Savoia et vu des reportages sur les naufragés de l'île Tromelin, incroyable histoire de survivance, car oui, les blancs réussiront à quitter l'île après avoir construit, grâce à l'aide, au courage et à l'efficacité des noirs, une prame qui ne pourra malheureusement pas embarquer tous les naufragés. Seuls les blancs partiront, en promettant de revenir chercher les noirs. Mais il leur faudra attendre quinze ans avant que l'on vienne enfin les chercher. Quinze ans... Sur les 160 escalves embarqués en 1761, seuls sept femmes et un bébé auront survécu.

Le récit sous forme de roman d'Irène Frain est extraordinaire car il y a peu de témoignages d'époque sur cet événement et elle réalise la prouesse de nous livrer un récit historique passionnant qui tient en haleine même lorsque l'on connait l'histoire et son issue. Sa plume est à la fois factuelle et sensible.

Pour la précision géographique, l'île Tromelin (qui tient son nom du capitaine de navire qui sauva les survivants) est rattachée aux TAAF (Terres Australes et Antarctique Françaises) et appartient aux île Eparses à l'Est de Madagascar.

Solitude la Flamboyante - Paula Anacaona, illustrations de Claudia Amaral

 Guadeloupe

Malgré l'extraordinaire symbolique qu'elle a représenté, on connaît peu de choses de la Mulâtresse Solitude.

On sait qu'elle est née au début des années 1770 d'une esclave violée par des marins sur un navire négrier puis, qu'enfant, elle fut séparée de sa mère pour devenir esclave "de maison".
On sait surtout qu'elle devint une figure emblématique de la lutte contre l'abolition de l'esclavage en Guadeloupe. Du marronnage avec ses soeurs et frères d'infortune aux combats menés aux côtés de Louis Delgrès et Joseph Ignace pour lutter contre le rétablissement de l'esclavage par Bonaparte en 1802, jusqu'à son exécution par pendaison au lendemain de son accouchement, voilà a priori les seuls éléments historiques que nous possédons sur Solitude...

Simone et André Schwarz-Bart s'étaient brillamment emparés de son histoire pour tisser autour de ces faits les romans La mulâtresse Solitude et L'ancêtre en Solitude.

Aujourd'hui, Paula Anacaona nous offre une magnifique version de l'Histoire de Solitude dont le point de départ et le dénouement s'appuient sur les faits réels. Entre les deux, une histoire romancée de ce qu'aurait pu être la vie de la jeune esclavagisée et l'occasion d'évoquer le quotidien de la plantation, celle des esclaves "de maison", des esclaves"de pioche", la vie de la rue case-nègres, la manière dont les Grands-Blancs divisent pour mieux régner en instaurant une hiérarchie entre Libres de couleur, Mulâtres, Chabins... C'est un vrai travail de mémoire sur le système esclavagiste et l'organisation régissant habitations et plantations.

La vie imaginée de celle que l'auteure qualifie de Flamboyante, celle qui irradie, qui illumine ses soeurs et qui éclaire le monde, la vie réelle de Solitude qui a suivi Delgrès et son "dernier cri de l'innocence et désespoir" : "Vivre libre ou mourir".

Solitude la flamboyante, un livre lumineux et inspirant.

Nord-Ouest au large du Groënland - Passage de l'Atlantique au Pacifique

 


Février 2009, la Fleur australe largue les amarres. A son bord, Géraldine Danon, son mari Philippe Poupon, leurs quatre enfants âgés de 9 mois à 12 ans, sans oublier l'ami Georges et Beti la chienne. But du voyage : rallier l'Atlantique au Pacifique par le mythique passage du Nord-Ouest au large du Groënland, un passage accessible seulement quelques jours par an où d'autres avant eux se sont cassé les dents. En effet, ces régions mal cartographiées et parsemées de hauts-fonds rendent la traversée périlleuse. Mais a force de patience et d'obstination, et malgré des moments de doute et parfois difficiles, ce voyage d'observation sera une réussite !

Voici un beau récit de voyage et d'aventure par lequel Géraldine Danon partage son aventure familiale exceptionnelle. Ours polaires, phoques, icebergs, banquise... mais aussi stress, tension, angoisse, joie, bonheur, découvertes et aussi beaucoup de "premières fois", tout y est pour nous faire vivre par procuration cette traversée extraordinaire, ponctuée d'anecdotes et de souvenirs de l'auteure. Un partage d'expérience riche, passionnant et sincère. J'ai beaucoup aimé et eu l'impression d'être a bord avec eux et de partager leur quotidien hors norme !

Ocean's song - Olivier de Kersauzon

 Mers et océans

 

 

Dans Ocean's song, Olivier de Kersauzon prend la plume avec sensibilité pour nous parler du regard qu'il porte sur le monde.

Il évoque tout d'abord son rapport aux mers et océans de la planète, en les personnifiant presque, puis, c'est une ode au vent, enfin, au fil de l'eau comme traversant sa pensée, comme une évocation de souvenirs, lui qui dit ne pas les aimer, ce sont de petites chroniques, des réflexions, des pensées sur le voyage, les lieux qu'il a aimés, des personnages (on sent son attachement, son respect et son admiration pour Éric Tabarly)... le ton est celui de la poésie, de la métaphore, et est parfois même empreint d'une grande douceur pour cet homme que l'on pense plutôt bourru. J'ai été d'ailleurs très touchée par son chapitre sur les Antilles dans lequel il évoque Patrick Chamoiseau et la beauté de l'écriture des écrivains antillais, cette écriture si chère à mon cœur :

"Cette Martinique où le désir de parler un français d'une pureté inatteignable pour la métropole était pour les Antilles une véritable ambition nationale.  On le voit toujours chez les écrivains antillais. Cette langue qui se maintient grâce à un vocabulaire d'une richesse que je jalouse. Cette langue demeure d'une rare beauté. Une langue classique faite de bulles irisées, d'expressions au silex, de raccourcis imprévus, d'images surprenantes, en un mot : une langue brillante, une langue qui se prête "à l'effet" et que plus personne en métropole ne parle".

Et à propos de la mer :
"La mer est alors une étoffe de velours tiède que l'étrave découpe dans le doux chuintement de la lame"

Quand le grand navigateur se métamorphose en poète !

Sauvage - Jamey Bradbury

 Alaska


Tracy a 17 ans et vit en Alaska avec son père, ancien musher célèbre, et son petit frère Scott. Sa maman est décédée récemment, alors Tracy ne songe qu'à courir éperdument dans la forêt, poser des pièges et sentir la nature et les animaux vibrer en elle. Elle vit également pour ses chiens et rêve de courir les deux Iditarod, la junior, puis la "grande" pour les plus de dix-huit ans. Elle peut le faire cette année, mais faute d'argent, son père refuse de l'inscrire aux mythiques courses de chiens de traîneau. Un dramatique incident va tout bouleverser et changer le cours de sa vie... Tracy va découvrir qu'elle possède un étrange don qui lui viendrait de sa maman, et ce don va devenir un besoin vital, une obsession.

Encore un roman puissant des Editions Gallmeister.
Le récit initiatique d'une jeune fille pas comme les autres, un peu border-line et habitée par la puissance de la nature. Passionnant de bout en bout !

Dans la forêt - Jean Hegland

 Dans la forêt, Redwood City, Californie - Etats-Unis d'Amérique

 

 

Le "into the wild" de deux soeurs de 17 et 18 ans qui se retrouvent seules dans la maison familiale au coeur de la forêt.

C'est le chaos total de la civilisation (il est à un moment question d'un virus, mais on ne sait pas réellement ce qui provoque ce collapse) : plus d'électricité, d'eau, d'essence, de réseau, et comble du malheur, leurs parents disparaissent.

Passée la sidération, et loin de tout, il va leur falloir surmonter cette situation apocalyptique et hors-norme. Il va leur falloir survivre.

Nell et Eva apprennent petit à petit à trouver et conserver de la nourriture, à maintenir le feu, à tirer à la carabine... Pour l'une qui rêvait de devenir danseuse étoile, et l'autre qui allait intégrer Harvard, c'est d'un retour aux sources, aux origines dont il va être question.

Un roman magnifique, poignant, puissant, presque oppressant, dont je me souviendrai longtemps et qui fait réfléchir sur la place de la société de consommation dans notre quotidien, sur l'évolution des civilisations et sur notre rapport à la nature. La fin est déroutante mais extrêmement juste. Du très beau "nature writing" où la forêt est elle-même un personnage essentiel ! 

Les grandes marées - Jim Lynch

Olympia, Etat de Washington - Etats-Unis d'Amérique

 


 C'est un été un peu particulier que le jeune Miles O'Malley s'apprête à vivre cette année-là. Bien sûr, il continuera, comme d'habitude, à arpenter sa plage, sa baie, à la recherche et à la découverte d'espèces marines, sa grande passion, mais rien ne sera comme d'habitude. Il y aura d'abord la découverte de ce calamar géant, une espèce vivant uniquement dans les profondeurs, et que peu de scientifiques ont pu étudier. Miles lui, va découvrir cet architeuthis échoué là, quasiment au pied de sa maison. Puis ce sera un ragfish, et bien d'autres découvertes encore. Les scientifiques locaux le prennent très au sérieux, et les journalistes ne sont pas en reste. Quand Miles annonce que la grande marée du 8 septembre devrait être hors norme et au-delà de ce que le Puget Sound a connu jusqu'à présent, tous pensent que ce jeune garçon est touché par une sorte de don de prophétie. Cette grande marée, le dénouement du roman, apportera son lot de réponses à tout ce qui a semblé si étrange cet été-là...

J'en ai appris beaucoup dans ce roman sur la malacologie (étude des mollusques), la conchyologie (étude des mollusques à coquille), la teuthologie (étude des céphalopodes) et l'ichtyologie (étude des poissons), et j'ai trouvé cela passionnant (non non, ce n'est pas rasoir du tout) ! Mais au-delà de toutes ces connaissances qui font le sel du roman, nous sommes bien dans un récit initiatique, dans le basculement vers la fin de l'adolescence et la découverte des sentiments, dans l'éveil au monde des adultes et la prise de conscience que quelque chose est en train de changer. Le petit Miles, chétif, palot, trop petit pour son âge mais au grand coeur et à l'intelligence subtile m'a pris par la main pour me faire vivre son été pas comme les autres, et m'a fait m'attacher, comme lui, à Phelps, Angie et surtout à Jocelyne, sa meilleure ami.

Un énorme coup de coeur, un roman extrêmement touchant !

Face au vent - Jim Lynch

Olympia, Etat de Washington - Etats-Unis d'Amérique

 


Dans la famille Johannssen, qui descend (ils en sont persuadés), de Reif Eriksson, célèbre explorateur islandais, il y a Grumps, le grand-père, qui conçoit et dessine des bateaux, il y a le père, qui les construit, il y a la mère, prof de physique un peu à l'ouest, et il y a les trois enfants : Bernard, Josh et Ruby. Tout ce petit monde, tel un bel équipage au complet, s'en va régater dès qu'il le peut. D'ailleurs, Ruby, la petite dernière, semble avoir un avenir tout tracé dans le monde de la voile. Dotée d'un don incroyable et d'un sixième sens pour comprendre le vent et manoeuvrer comme une championne, elle pourrait bien participer aux prochains Jeux Olympiques. Pourtant, elle va tout abandonner, quitter sa famille et son pays pour faire de l'humanitaire en Afrique. Dans la foulée, Bernard, le fils aîné rebelle, quitte aussi une famille un peu trop déjantée et gouvernée par un père autoritaire, voire caractériel. Josh, le narrateur de l'histoire et le conteur fantastique des souvenirs d'enfance de la fratrie reste à quai. Il répare avec talent les bateaux et collectionne les conquêtes, à la recherche de la femme idéale. Ainsi se déroule la vie à Olympia, au sud-ouest de Seatlle dans l'Etat de Washington.
Quand douze ans plus tard, la flamboyante Ruby revient à la maison, c'est pour réunir à nouveau toute la famille dans un challenge audacieux : remporter la Swiftsure Yacht Race... mais pas que. Ces retrouvailles seront l'occasion pour tous, d'un dénouement bouleversant.

Un roman dans lequel il n'y pas vraiment d'intrigue et dans lequel nous suivons les tribulations d'une famille américaine de voileux, mais un roman jubilatoire du début à la fin, avec beaucoup d'humour, d'émotion et de tendresse. On partage le quotidien des Johannssen et on a presque l'impression de faire partie de cette famille attachante, du coup, refermer ce roman, c'est un peu comme les quitter, avec un pincement au coeur !

Cette lecture est aussi pour moi l'occasion de renouer avec la littérature américaine que j'ai délaissée depuis de nombreuses années.
Ce superbe roman m'a permis de me réapproprier le genre et de me replonger dedans, je vais d'ailleurs récidiver avec Jim Lynch...

Tropiques toxiques - Jessica Oublié

 Guadeloupe - Martinique

 


Wow, quel boulot d'enquête et d'analyse ! Bravo et félicitations à Jessica Oublié pour cette BD-Docu sur le chlordécone, de sa genèse à aujourd'hui encore, car c'est loin d'être terminé tout cela... Cette BD est donc le fruit d'années de travail, d'interviews, de recherches mises en images et en couleur, ce qui permet je trouve, de mieux comprendre la portée de ce scandale sanitaire. C'est un sujet qui me touche et j'ai déjà eu l'occasion d'en parler autour de moi (dans l'Hexagone, c'est une affaire pas forcément très connue, surtout en Bretagne où l'on est plutôt focalisé sur un autre scandale sanitaire, celui des algues vertes, qui a d'ailleurs été également porté en BD), et j'avais pris l'habitude de dire "la" chlordécone, on me reprenait alors en me disant "ce n'est pas plutôt "le" ? Eh bien j'y apprends ici, que l'on peut employer le masculin pour parler du produit, et le féminin pour parler de la molécule, je n'avais donc pas tout à fait tort !

Pour résumer, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas cette catastrophe de santé publique, le(la) chlordécone est un insecticide organochloré toxique qui a été utilisé aux Antilles, en Guadeloupe et Martinique, de 1972 à 1993 pour combattre le charançon des bananiers. Ce poison a pollué la terre, les rivières, la mer, empoisonnant cultures, poissons et même bétail et provoquant des cancers chez l'Homme.