mercredi 25 février 2015

Peut-on rire de tout ?




L'édito de François Busnel du dernier numéro de Lire (mars 2015) est une pépite d'écriture, de vérité et de philosophie. Que dire de plus ? Tout y est. Extraits :

"Que lire, après les attentas qui ont ensanglanté la France le 7 janvier dernier [...] ? Lire les écrivains qui, depuis que l'écriture existe, ont érigé le rire en bouclier contre la barbarie."

"Rire, c'est se libérer de la pesanteur du monde dans lequel nous vivons. C'est faire disparaître la terreur que peuvent nous inspirer les fanatiques. C'est relativiser. Humaniser. Résister. Exercer son esprit critique. Mettre à distance les dogmes et les idées reçues, les idéologies dominantes et les opinions communes. Voilà pourquoi, en France, on a le droit de rire de toutes les croyances tant que l'on ne vise pas un individu, tant qu'on n'appelle pas à la haine raciale et à la violence. Les caricatures du Prophète, comme celles du pape ou des rabbins, doivent être perçues comme une école de la tolérance : elles protègent d'eux-mêmes les croyants les plus fervents en leur offrant la possibilité de prendre du recul sur l'embrigadement de la pensée".

"Les artistes (les écrivains en tête) exercent cet esprit critique et nous invitent à penser. Pour cela, il leur arrive de jeter de l'huile sur le feu. Provocations ? Oui, mais ces provocations ne cherchent pas à blesser l'autre (il faut que l'autre, en démocratie, apprenne à passer outre à sa blessure narcissique et accepte que la croyance d'ordre privé, puisse faire l'objet d'un débat), elles visent à dessiller le regard, à écarter les oeillères, à susciter la réflexion. Il serait bon, d'ailleurs, de ne pas oublier que les provocateurs, ici, ne sont ni les humoristes ni les écrivains mais... les terroristes".

"Faisons tout pour que la prophétie de Flaubert soit fausse, lui qui annonçait il y a cent cinquante ans : "nous allons entrer dans un ordre de choses hideux, où toute délicatesse d'esprit sera impossible".

"Peut-on (encore) rire de tout ? demandait Cabu dans un superbe dessin [...] Oui. Rire. Le grand éclat de rire. Le rire de qui sait que la vie est une farce et qu'il importe de la vivre à fond".

"Le seul parti raisonnable dans ce siècle ridicule, c'est de rire de tout. Riez, riez, et vous les écraserez" disait ainsi Voltaire à son ami D'Alembert.

François Busnel


samedi 21 février 2015

Ainsi soit Benoîte Groult - Catel




Facétieuse Benoîte Groult, pleine de pep's, d'humour et de jovialité qui fut croquée par Catel alors que cette dernière oeuvrait à l'écriture de son roman graphique Olympe de Gouges.
C'est d'ailleurs certainement cette pionnière du féminisme, auteure de la déclaration de la femme et de la citoyenne qui fut guillotinée en 1793, qui donna envie à Catel de retracer la vie de Benoîte Groult en bande dessinée et qui rapprocha les deux femmes.

C'est ainsi qu'entre 2008 et 2013, Catel Muller, auteure de bande dessinée et illustratrice, rencontra régulièrement Benoîte Groult, journaliste, écrivaine et militante féministe afin de retracer sa vie et son oeuvre en bande dessinée, un comble pour Benoîte Groult qui n'aime pas et ne comprend pas ce neuvième art, mais acceptera de jouer le jeu avec l'ouverture d'esprit qui la caractérise. Une profonde et sincère amitié va naître entre les deux femmes au fil de leurs rencontres, et Catel ne se contentera pas de conter et illustrer la vie de cette incroyable femme qu'est Benoîte Groult, elle intégrera également ses morceaux de vie avec elle, ce qui donne à cette bio-graphique une facette authentique.

Ce roman graphique est parfaitement documenté grâce à la sincérité, à la franchise et à la fraîcheur de son personnage principal et on est rapidement emporté par le tourbillon de la vie de cette incroyable femme qui a encore toute sa verve et sa pétulance alors qu'elle avait déjà 90 ans au moment de la réalisation de la BD !

En conclusion, et pour résumer ce superbe album de Catel, Benoîte Groult reviendra entre autres sur le fil de sa vie, son enfance, ses relations avec ses parents, son premier mari décédé puis son mariage avec Georges de Caunes, ses avortements successifs, la naissance de ses filles, ses amours, mais également sur le féminisme, le jeunisme, la vieillesse, la mort, l'euthanasie, l'avortement, la contraception, la liberté de la femme, l'excision, la féminisation des noms de métiers et des qualificatifs, les quotas de femmes au gouvernement, etc... etc... etc... etc..., tout ce qui est encore cruellement d'actualité de nos jours...

Morceaux choisis :

Au sujet de l'euthanasie :
"J'ai refusé de me voir confisquer ma vie de femme, j'aimerais bien refuser aussi celui de me voir confisquer ma mort"

Au sujet de la maternité (s'adressant à sa fille) :
"La maternité, c'est comprendre quelqu'un qui ne vous ressemble pas. Nous nous apportons et nous éduquons réciproquement"

Au sujet de la féminisation des noms :
"C'est toujours dans le domaine du prestige que ça coince pour les femmes parce que dans le domaine de l'injure, on n'a jamais eu du mal à les qualifier d'emmerdeuse !"

Et puis cette anecdote : après des années de lutte pour la féminisation des noms, François Mitterrand la fait "Chevalier de la Légion d'Honneur" en 1982, ce à quoi elle rétorque "et pourquoi pas Chevalière ?"... En 2010, le neveu du Président, Frédéric Mitterrand lui adresse un courrier lui annonçant qu'il "l'adoube" pour le titre de Commandeure de la Légion d'Honneur ! Ce à quoi elle lui répondra : "Merci, cher Frédéric. Ce nom de COMMANDEURE, au fond, vous vous en êtes bien sorti... Mieux que votre oncle qui n'était pas arrivé à dire, il y a 30 ans, "CHEVALIERE" !

Et puis cette triste réalité :
"En 1975, Françoise Giroud réalisait déjà à contrecoeur qu'il faudrait instaurer des quotas pour se faire entendre : La parité ne peut être une revendication intellectuellement satisfaisante. Mais c'est tristement raisonnable. Il faut se résigner aux quotas, tactiquement, pour les femmes". 
Ce à quoi Elisabeth Badinter, refusant ce mal nécessaire et estimant que cette mesure serait nuisible aux plus méritantes, répondra : "Je suis profondément humiliée par l'idée des quotas"



dimanche 15 février 2015

La bibliothèque des coeurs cabossés - Katarina Bivald




Amy habite à Broken Wheel, petite ville perdue au milieu des champs de maïs quelque part dans l'Iowa. C'est une vieille dame passionnée de lecture.
Sara habite en Suède. C'est une jeune femme de 28 ans, libraire fraîchement licenciée en plein doute dans sa vie. Passionnée également de lecture.

Les deux femmes ont une amicale relation épistolaire qui leur permet d'échanger sur leur passion littéraire et se conseillent mutuellement des lectures tout au long de leurs échanges. Mais pas que... Amy profite en effet de cette correspondance pour raconter à Sara sa vie quotidienne à Broken Wheel et les petites histoires de ses habitants, jusqu'au jour où elle enjoint Sara à venir passer quelques jours de vacances dans l'Iowa : "Nos livres se sont rencontrés, ne penses-tu pas que nous le fassions aussi ?".

C'est ainsi que, répondant à la chaleureuse invitation de sa correspondante, Sara se retrouve à Broken Wheel. Seulement voilà, son amie Amy est décédée et elle débarque chez la vielle dame en plein "buffet funéraire" ! Abasourdie, Sara ne sait comment réagir, mais les amis et la famille d'Amy qui avaient eu plus ou moins entendu parler de la jeune suédoise, lui proposent de s'installer dans la maison de la défunte. Sara accepte et va peu à peu faire la connaissance des drôles d'habitants de cette ville. Petit à petit, une relation particulière va se nouer entre eux et la jeune fille au tempérament a priori insipide et ordinaire mais qui va considérablement perturber la morne existence de cette petite communauté. Sa passion pour la lecture, à des années lumière des préoccupations de ces américains, va finalement être un déclencheur et retourner la paisible bourgade.

La bibliothèque des coeurs cabossés est un petit roman plein de fraîcheur que l'on pourrait qualifier de "feel-good book", avec un dénouement très cocasse et un happy-end réjouissant ! Un excellent moment de lecture, tout plein de tendresse, teinté d'humour, et truffé de références littéraires !

Il est bien évident que j'ai acheté ce livre pour son titre et sa couverture. J'ai bien fait !


Edito du 25 février :
Voici la très sympa chronique littéraire de "mon cher" Gérard Collard :




vendredi 13 février 2015

Ainsi se tut Zarathoustra - Nicolas Wild




Avec un titre qui fait écho à l'oeuvre de Nietzsche, "Ainsi parlait Zarathoustra", Nicolas Wild nous entraîne à la découverte de l'Iran, de l'ancien royaume de Perse et plus particulièrement du zoroastrisme, religion relativement méconnue.
A mi-chemin entre le road-trip et l'histoire, et s'inspirant de faits réels, cette BD est une véritable plongée au coeur de l'univers persan et de sa religion (l'une des premières religions monothéistes), celle du prophète Zarathoustra qui fut à son apogée sous la dynastie des Sassanides entre -224 et 651, avant de décliner progressivement lors de la conquête musulmane et l'arrivée de l'Islam. Cette minorité religieuse fut dès lors persécutée par le pouvoir islamique, engendrant l'exil de nombreux Perses vers l'Inde.

Au-delà de l'aspect religieux, Nicolas Wild dresse un tableau de la société et de la culture iraniennes à travers le récit du narrateur, Nicolas, qui semble n'être autre que l'auteur lui-même !
Tous ces aspects gravitent autour de la thématique principale de l'histoire, celle de l'assassinat de l’humaniste iranien Cyrus Yazdani, grande figure de la culture zoroastrienne, et plus particulièrement sur le procès de son présumé meurtrier en 2009 à Genève. Ainsi, ce "silence de Zarathoustra" est donc en quelque sorte une métaphore de l'assassinat de celui qui fut l'un des derniers défenseurs de la cause zoroastrienne et qui luttait contre son extinction.

J'ai trouvé cette BD passionnante car elle m'a permis de découvrir un univers et une culture qui m'étaient quasiment inconnus et qui sont d'une richesse inouïe. Elle m'a également permis de voyager dans cette partie de l'Orient à laquelle je ne me suis jamais vraiment intéressée, et enfin elle m'a ouvert les yeux sur cette religion méconnue et pourtant très intéressante. J'avais bien sûr déjà entendu parler du Zarathoustra de Nietzsche et de celui de Strauss que tout le monde connaît (2001, l'odyssée de l'espace), mais je ne m'étais jamais vraiment demandé qui était Zarathoustra ! La lacune est réparée !

Au fait, saviez-vous que les Rois Mages Gaspard, Melchior et Balthazar auraient été zoroastres ?


« Je dois décliner, comme le soleil, pour éclairer les gens d'en bas ».
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra