dimanche 14 février 2016

Ma bibliothèque. Lire, écrire, transmettre - Cécile Ladjali



Un livre dans lequel l'auteure fait l'inventaire de sa bibliothèque, dressant dans un premier temps, et de façon presque clinique, un portrait de ses rayonnages et expliquant la manière dont sont classés les ouvrages sur ce grand mur dont la porte d'entrée forme une arche, et avec, pour seul moyen d'atteindre les livres les plus hauts, un escabeau entortillé de lierre ! Les grands classiques occupent une place privilégiée dans cet inventaire qui se transforme peu à peu en une étude ciselée et précise de la lecture, de la manière de l'appréhender et d'en transmettre l'amour. Cécile Ladjali brosse également le portrait de nombreux auteurs en confrontant leurs écrits à l'approche de la lecture que l'on peut en faire. Petit à petit, elle bascule sur l'écriture, la méthodologie utilisée pour accoucher d'un livre et l'importance de l'épistolaire dans la vie. Enfin, elle aborde le virage de la modernité avec la place de la lecture et de l'écriture dans les nouvelles technologies, oscillant entre l'inéluctabilité du changement dans l'avènement du "tout-connecté" et la nostalgie du papier et du stylo !

Un essai très intéressant et fort bien construit pour tout amoureux de la lecture !

Extraits :

"[...]Il a placé en épigraphe cette phrase de Sylvia Plath qu'il avait calligraphiée au marqueur noir sur les murs de ma bibliothèque il y a quelques années déjà : "Ecrire est un acte religieux : une manière d'ordonner, corriger, réapprendre et réaimer les gens et le monde, tels qu'ils sont et pourraient être."

"Ma bibliothèque est ce catalogue non raisonné regroupant des auteurs que la critique passe son temps à classer et que mes relectures déclassent continuellement."

"Heureusement, à la même époque, le rapport que j'entretenais avec la bibliothèque de la Sorbonne était moins douloureux. J'y accédais en empruntant le grand escalier de marbre qui se faufilait entre les amphithéâtres Descartes et Guizot. Arrivée au premier étage, sous les yeux des allégories du Rêve et de la Science, tandis que le très édifiant Chant des Muses éveillant l'âme humaine annonçait ce que j'allais trouver une fois la porte poussée, je passais le guichet pour pénétrer dans la grande salle de lecture, flanquée de quinze croisées donnant sur la cour d'honneur. Toutes les légendes y trouvaient leur écrin : un décor moiré, vert-de-gris, un décor de roman. Au centre se trouvait le bureau des appariteurs et sur la droite trônait la présidence de salle. Le parquet craquait, il planait une odeur de papier et de poussière mêlés. Un je-ne-sais-quoi évoquant la myrrhe. Afin de commander un livre, il fallait recourir à des fiches cartonnées, le catalogue n'étant pas encore informatisé. La rêverie commençait très certainement avec la contemplation des calligraphies merveilleuses, commises par les petites mains des bibliothécaires qui avaient rempli ces fiches à l'encre bleu pétrole : Cote. Nom de l'auteur. Titre de l'ouvrage. Editeur. Année de publication. Format. Nombre de pages. A la faveur des opalines, je lisais des heures entières sous les plafonds céladon, souriant aux mines sévères des cariatides, sensibles aux imprécations mythologiques des fresques."

"[...]je reconnaissais les sortilèges qui ont fait les très riches heures de la bibliothèque. Son odeur, sa lumière, douce invite à l'étude, et surtout son silence éloquent. Ils parlaient tous dans le cadre des grandes fresques : François Ier et l'imprimeur Estienne. Richelieu consultant les plans avec son architecte. Les étudiants, plume piquée à l'esbroufe, qui donnait aux silhouettes rouges ou noires des allures faustiennes. Ils toisaient, ces jeunes gens, les bustes marmoréens des conservateurs qui veillaient sous le grand plafond où volent les allégories réunies de la Poésie et de la Science. En son syncrétisme aride, l'esprit du lieu était là. Il y eut les mots inscrits dans le marbre, ceux tracés à l'encre verte par les moines copistes, puis ceux confiés au vélin des in-quarto. A présent, ils courent, les mots, sur les écrans de cristaux liquides. Mais les fables sont toujours les mêmes, comme les lecteurs, amoureux immuables, installés dans leur dévotion. Celle vouée aux signes, pourvoyeurs de l'intelligence et de la beauté."

Ma bibliothèque. Lire, écrire, transmettre - Cécile Ladjali
Seuil - 213 pages

1 commentaire:

  1. Extraordinaire ode aux pouvoirs de la littérature, et de son enseignement y compris aux plus démunis : "Dénier les classiques aux enfants d'immigrés, à qui l'on ne réserverait qu'une littérature adaptée, participe d'une forme de racisme éhontée". A mettre aux côtés des livres de Danièle Sallenave, "Le don des morts" et "nous, on n'aime pas lire".
    J'aime ces livres qui élèvent...

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